SYNTHÈSE DE NOVO D'UN " ADN " PAR
LA POLYNUCLEOTIDE PHOSPHORYLASE (PNPase)
En 1956, Mirko Beljanski avait reçu du gouvernement américain une bourse de deux ans
pour
aller travailler dans le service du Professeur Severo Ochoa, à l'Université de New York,
Bellevue Hospital.
Severo Ochoa venait de montrer qu'une enzyme appelée la Polynucléotide phosphorylase
(PNPase) avait la très intéressante propriété de polymériser les ribonucléotides en
petits ARN
(homo- ou hétéro-polymères). Des conditions particulières présidaient à cette
synthèse, en
présence exclusive de magnésium (Mg++) et de ribonucleoside-diphosphates (NDP). Bien
qu'une activité biologique de ces petits ARN ne put être mise en évidence, ce travail
fut salué
par un prix Nobel attribué à S. Ochoa en 1959.
En allant poursuivre ses recherches dans ce laboratoire, Beljanski espérait mettre en
évidence
les conditions permettant la fixation sélective des acides aminés par des triplets de
bases
d'acides nucléiques, embryon de ce que l'on a nommé le code génétique et qui devait
être
découvert peu après. Malheureusement, le matériel biologique dont Beljanski disposait
à
l'époque n'était pas assez défini. Bien qu'ayant des résultats intéressants, ils
n'étaient pas assez
reproductibles pour en tirer un message clair.
Lorsqu'il rentra en France, en 1958, Beljanski s'attaqua à d'autres problèmes, mais
cependant,
de temps à autre, conserva le contact avec cette enzyme.
Dans la pleine continuité du sujet de sa thèse, Beljanski étudia l' impact de la
streptomycine sur
les bactéries E. coli. I1 montra que des bactéries devenues résistantes à cet
antibiotique perdaient
leurs enzymes respiratoires et devenaient anaérobies: l'activité de la
succino-deshydrogénase et
celle de la catalase étaient supprimées chez le mutant résistant, mais réversibles en
présence
d'hémine. En outre, il avait noté que les bactéries normales étaient environ deux fois
plus riches
en fer que les bactéries mutantes (Ann. Inst. Pasteur 92 (1957) p. 396-412).
Ainsi, un antibiotique tel que la streptomycine bouleversait totalement mais non
réversiblement
toute la physiologie d'une bactérie.
En 1970, un autre exemple, encore plus spectaculaire, se présenta à ce chercheur,
décidément
bien curieux. Un nucléoside naturel, la showdomycine, antibiotique pour les bactéries et
dont la
structure est très proche de la pseudo-uridine attira tout particulièrement son
attention.
Les bactéries mutantes Sho-R présentait une grande majorité d'ARN présentant un
rapport base
purique/base pyrimidique = 2 au lieu de 1 chez les bactéries sauvages: ARN ribosomique
50S,
ARN messager. Seuls les ARN transfert et le ribosomique 30 S échappaient à cette
modification.
I1 montra (Ann. Inst. Pasteur 118 (1970) p. 253-276) que la PNPase des bactéries
showdomycino-résistantes (Sho-R) pouvait polymériser en présence de magnésium beaucoup
plus efficacement 1'ADP et le GDP (bases puriques) que le CDP et 1'UDP, alors que la
bactérie
non mutante continuait à synthétiser dans leur rapport normal ces bases nucléotidiques,
c'est à dire dans un rapport 1: 1: 1: 1. *
La PNPase, même isolée et purifiée des deux types de bactéries synthétisait in vitro
un
polyribonucleotide AGUC ou dans le mutant, A et G étaient dans un rapport double par
rapport
à C et U. Par contre, la showdomycine n'avait pas d'action in vitro sur la PNPase isolée
à partir
de 1' une ou 1' autre des types bactériens. Autrement dit, cet antibiotique doit
pénétrer la bactérie
pour en modifier la PNPase, lors de la synthèse de celle-ci.
Ceci est. et a été d'une importance décisive dans la suite des recherches de
Beljanski. Au chapitre II
(Les ARN transformants) on a pu lire les leçons extrémement fructueuses de ces
recherches qui
ont abouti à des transformation héréditaires d'autres bactéries par ces AGUC de
rapport très
particulier (2: 2: 1: 1). En particulier la transformation d'Agrobacterium tumefaciens,
bactérie
qui provoque la transformation cancéreuse chez les plantes. Sous l'influence des ces AGUC
(constituant des acides ribonucléiques) la bactérie perdait son pouvoir oncogène.
La transformation héréditairement acquise d'une bactérie indiquait que la PNPase
modifiée
imposait à une éventuelle transcriptase inverse bactérienne (encore à découvrir)
l'ordre de
copier ces ARN AGUC en ADN génomique chez le transformé. La mise en évidence de
l' existence de la transcriptase inverse bactérienne fut réalisée par M. Belj anski peu
après.
Mais la PNPase ne fut pas oubliée pour autant. Seulement des obstacles en tous genres,
des
difficultés matérielles sciemment organisées, le manque de place et de personnel
obligea très
souvent Beljanski à faire des choix dramatiques entre plusieurs voies expérimentales,
toutes
plus passionnantes et novatrices les unes que les autres.
Très stable, thermo-résistante, bien répandue dans la nature, la PNPase semblait
indiquer
qu'elle pouvait jouer un rôle essentiel dans 1' évolution et la transformation des
espèces, dès lors
que certaines conditions s'y prêtaient.
L'aide décisive de l'Association Cobra devenu CIRIS permit au chercheur de reprendre
la suite
de ces recherches.
I1 est bien connu qu'un ADN peut s'obtenir essentiellement de deux façons:
1) par transcription d'un ARN en ADN (transcriptase inverse, ADN polymerase ARN
dépendante)
2) par réplication d'un ADN matrice en ADN nouveau (ADN polymérase ADN dépendante).
Dans tous les cas, il faut une matrice, ARN ou ADN.
La synthèse " de novo " d'un ARN, c'est à dire sans matrice précurseur des
ARN est en
revanche possible de différentes façon (voir aussi à ce propos la contribution
Beljanski-
Plawecki au chapitre V de ce document)
En revanche, la synthèse " de novo " d'un ADN n'a jamais pu être réalisée
à partir de ses
éléments constitutifs (les désoxyribonucléoside-diphosphates (d-NDP), au point qu'il
existe un
consensus scientifique pour considérer que 1'ARN a précédé 1'ADN au cours de
l'évolution.
Mais si 1'ADN est essentiellement le gardien des gènes et de l'hérédité, comment
concevoir,
avant l'apparition de 1'ADN, la stabilité incroyable de certaines espèces primitives: ce
qui a
été appelé le paradoxe de l'uf et la poule. . . Qui a précédé qui ?
Cette difficulté a toujours été la cause d'une grande incertitude quant aux origines
de ce qui
fait, stabilise et transmet les caractères héréditaires de chaque espèce. A un moment
de la
lointaine évolution biologique, la très complexe molécule d'ADN s'est formée: comment
? à
partir de quoi ?
I1 convient de se souvenir qu'avait été signalé l'existence de poly GGGGG, poly CCCC
etc...
dans divers ADN. D'où pouvaient-t-ils provenir? Sur quel modèle avaient-ils pu être
formé?
A se rappeler également que dans les temps prébiotiques de température élevée, seule
la
polynucléotide phosphorylase était à même de travailler efficacement à 70 °C ou 80
°C.
Michel Plawecki, dans une thèse d'Etat qu'il a passée alors qu'il travaillait dans le
laboratoire
Beljanski (Université Paris VI le 17 mai 1974) avait réalisé des synthèses de
ribopolymères à
70 °C avec la polynucléotide phosphorylase. L'ARN synthétisé par la PNPase dans des
conditions identiques mais à des températures de 37 °C ou 70 °C présentait un rapport
GA/CU
passant de 1,07 jusqu'à 1,85 (C.R.Acad. Sc. Paris 278 (1974) p. 1413-1416). Ces ARN sont
des
amorceurs spécifiques pour la synthèse d'ADN de différentes origines par la DNA
polymerase
ADN dépendante (ADN des cellules de mammifères, des bactéries, des phages...) A noter
que
ce jeune chercheur reçut immédiatement des pressions pour quitter le laboratoire
Beljanski !
Donner la préséance à 1' ARN ne réglait pas le mystère de l' apparition de 1'ADN.
En reprenant se s anciennes expériences sur la synthè se des ARN, et en particulier
sur la façon
dont se comporte la PNPase, Beljanski parvint, en variant les conditions de synthèse, à
obtenir
un résultat tout à fait spectaculaire.
Alors qu ' en présence d' ions magnésium (Mg++) et de ribonucleoside-diphosphates la
PNPase
synthétise des " proto-ARN ", il s'avéra qu'en présence d'ions ferriques
(Fe+++) et de
désoxyribonucleoside-diphosphates (d-NDP) cette même enzyme, pratiquement tombée dans
l'oubli pouvait synthétiser un ff proto-ADN " qui pourrait très bien être un
modèle valable de
précurseur des ADN.
Le rôle des ions métalliques n'était pas une nouveauté dans les recherches de
Beljanski. La
stimulation spectaculaire de la transcriptase inverse des ufs de poissons:
pratiquement
indétectable en l' absence de fer ferrique, cette enzyme exhibe une très belle activité
en sa
présence (réf. n° 112).
Le fer, le zinc, le magnésium, le manganèse... jouent, c'est bien connu, un rôle
déterminant
dans le fonctionnement des enzymes. Mais le fer a joué un rôle déterminant dans
l'évolution.
Lorsque les végétaux eurent mis suffsamment d'oxygène dans l'atmosphère terrestre, le
fer
ferreux se transforma en fer ferrique, permettant de nouvelles réactions biochimiques.
Ainsi par
exemple, la nouvelle et passionnante activité de la PNPase, capable d'utiliser des
désoxy-
ribosubstrats pour assembler une molécule ressemblant de si près à un ADN.
" Si la PNPase a " attendu " l'arrivée des Fe+++ pour créer des ADN,
cela impliquerait que la
vie, avant la production d'oxygène, était sous contrôle du " monde des ARN
",1'ADN n'ayant
été synthétisé que plus tard "... peut-on lire dans la revue Effervescience n° 6
(Minnova,
Toulouse), qui consacre un article au travail de Beljanski sur ce thème.
On peut très bien concevoir qu'en fonction de la température, de la présence de
magnésium ou
de fer, de la proximité de ces champignons que sont le streptomycès ou le showdomyces
showdoensis, pourvoyeurs des deux antibiotiques dont nous parlons ici, la polynucléotide
phosphorylase ait pu synthétiser différents polymères, tantôt ribopolymères, tantôt
désoxyribopolymères, de composition en bases variées et générateurs de génomes
diversifiés.
L'" ADN-like " synthétisé in vitro sans matrice par la PNPase en présence
d'ions ferriques est
sensible, comme tout ADN, à l' action de la désoxyribonucléase, alors que la
ribonucléase (qui
dégrade les ARN) est sans effet. D'autres propriétés encore complètent la ressemblance
de 1'ADN
synthétisé avec un ADN habituel. Une analyse rigoureuse a montré que ni le milieu
d'incubation
qui contient les éléments de construction indispensables, ni l' enzyme, ne contiennent
de trace
d'ARN. L'ADN synthétisé de novo est reconnu par la très classique ADN polymérase ADN
dépendante, dont le rôle est. on le sait, de copier un ADN sur le modèle d'un autre
ADN.
A 70 °C les 3 enzymes PNPase des 3 variétés bactériennes fonctionnent en présence
de fer
ferrique et des d-NDP pour former un désoxyribopolymère.
Simple brin, l'ADN-like synthétisé in vitro tend à se replier spontanément sur
lui-même, là où se
trouvent des bases complémentaires, formant ainsi des régions à double brins plus ou
moins étendues.
Mirko Beljanski a comparé les actions de différentes PNPases purifiées à partir de
trois
bactéries différentes: Micrococcus, Alcaligenes, E. coli. L'ADN de ces trois bactéries
présente
la caractéristique d'avoir des rapports des bases puriques / bases pyrimidiques
différents. La
PNPase fut isolée et purifiée à partir de chacune de ces bactéries et utilisée pour
la synthèse in
vitro d'un ADN. Dans les trois cas, le milieu d'incubation était identique, contenant du
fer
ferrique et, en quantité équimolaire chacun des 4 désoxyribonucleoside-diphosphates. Or
l'ADN-like synthétisé par chacune de ces PNPases différait par sa composition en base.
Le
rapport bases puriques / bases pyrimidiques correspondait à très peu de choses près à
celui
présent dans 1'ADN génomique de l'espèce bactérienne d'où était purifié l'enzyme.
La PNPase
a opéré un choix qui correspond à son origine. Est-ce à dire que cette protéine
est capable de
transmettre une information génétique ? Touj ours e st-il que le choix du rapport de s
bases est
bien inscrit dans la structure moléculaire d'une protéine. Peut-on rapprocher ces faits
du mode
d' action des prions ? I1 reste encore beaucoup de travail passionnant pour les jeunes
chercheurs.
Ainsi, la Polynucléotide phosphorylase, enzyme bien négligée des chercheurs de nos
jours,
peut bâtir un début d'ADN et, semble-t-il transmettre dans une certaine mesure certaines
indications informatiques.
Après l'intangible dogme qui imposait que tout venait de 1'ADN, vers 1'ARN puis vers
les
protéines, on a vu, dans les années 1970 s'écrouler ce dogme avec l'apparition des
transcriptases inverses, capables de transmettre les informations de 1'ARN vers 1'ADN.
Est-ce
maintenant l'aube d'une nouvelle révolution de palais, où les protéines à leur tour,
imposeront
aux ARN et au ADN, selon leur milieu ambiant, l' influence des métaux, de la température
ou
du voisinage de substances végétales, des séquences particulières dans les acides
nucléiques ?
Si tel était bien le cas, la merveilleuse diversité du monde biologique s'en trouverait
éclairée
d'un jour tout nouveau.
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