CONCLUSION GÉNÉRALE

Nous avons tenté de retracer l'évolution de la pensée du chercheur, les faits expérimentaux qui
ont permis d'aboutir à des concepts extrêmement originaux, et surtout utiles pour traiter bien
des maladies graves, actuellement non soignées ou insuffisamment bien soignées.

Au fil des pages, les premiers antiviraux (principe premier des ARN anti-sens), puis les RLB
qui rétablis sent le. s taux normaux de globule s blancs et de plaquette s sanguine s abais sé s par une
chimiothérapie, une irradiation, une maladie ou une insuffisance congénitale, ont ouvert une
brèche importante, décisive même dans les concepts thérapeutiques: celle de la spécificité.

Les RLB étaient la première démonstration qu'une molécule biologique peut agir
sélectivement pour stimuler les bonnes cellules hématopoiétiques, sans stimuler les cellules
cancéreuses ou cellules en dysfonctionnement. Sur le plan théorique, cette démonstration est
fondamentale. Elle ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles, sans effets secondaires
néfastes.

Plus tard, sur le même principe de sélectivité d' action, sont nés le BG-8 (alstonine) et le PB-
100 (flavopereirine), deux alcaloides de plantes qui ne s'attaquent qu'aux cellules tumorales ou
en dysfonctionnement sans affecter les cellules saines. De ce fait, ils sont dépourvus de toxicité.

La mise au point de ces produits remarquables découle à la fois d'une invention pratique,
l'Oncotest qui très rapidement permet de reconnaître l'effet différentiel d'un composé sur les
ADN cancéreux et normaux, et d'une théorie entièrement nouvelle sur la nature de la
cancérisation: celle-ci est essentiellement due à la structure secondaire et tertiaire particulière
de la molécule d'ADN cancéreux, dont la double chaîne est déstabilisée, plus lâche que celle
de 1'ADN normal.

La théorie de la déstabilisation de 1'ADN a été particulièrement féconde en application. Au-
delà du cancer, elles s'étend à de nombreux désordres dans l'expression des gènes et fournit un
moyen de combattre ces anomalies. C'est ainsi qu'un médicament régulateur à large gamme
d'activité, mélange équilibré de molécules dont les unes éloignent et les autres rapprochent
localement les brins des chaînes d'ADN, peut combattre des désordres enzymatiques liés à une
déstabilisation plus ou moins étendue.

Certains verront dans ces remèdes l' essentiel de l' œuvre de Beljanski. I1 ne faudrait pas, fasciné
par ces applications entièrement nouvelles, mésestimer l' importance des découvertes
scientifiques hardies, ni des concepts révolutionnaires qu'il a avancés. Parce qu'il sait mener
ses expériences et ne craint pas d' adopter des explications contraires aux idées en cours, ses
découvertes ont une cohésion et, par là, une force de conviction loin d'être atteinte, à notre avis,
par ceux qui, des années plus tard, sont arrivés à des conclusions similaires et les ont vues enfin
accepter. Suivre la démarche de sa pensée scientifique ne peut que renouveler totalement notre
compréhension de toute une partie de la biologie et notre façon de 1' aborder.

Au fil de ses recherches, nous avons pu voir que, dès le début, dès l' instant où il a pressenti et
prouvé que les ARN viraux fixent les acides aminés comme le fait 1'ARN de transfert, cet
intermédiaire dans la construction des protéines, Beljanski a été dérangeant. La découverte des
ARN transformants a marqué le point de départ d' une opposition haineuse qui ne s' est jamais
éteinte. En apportant la preuve qu'un ARN peut transférer une information héréditaire d'une
bactérie à une autre, Beljanski portait un premier coup au dogme de la toute puissance de
l'ADN, considéré alors comme seul capable de déterminer les caractères héréditaires. Il
ébranlait en même temps le pouvoir des tenants de ce dogme.

Puis vinrent les travaux sur la transcriptase inverse, cette enzyme qui transcrit l'ARN en ADN
et que Temin avait découvert un an auparavant chez les rétrovirus. Beljanski la trouve
également chez les bactéries (il la décèlera plus tard également chez les champignons et dans
les œufs de poissons), analyse les conditions et les résultats de son action; sur un plan général,
ce travail lui fait comprendre le rôle capital de cette enzyme, qui peut permettre à l' information
contenue dans un ARN de se retrouver finalement inscrite sous forme d'ADN dans le génome,
et le retentissement de son activité sur l'évolution des espèces. Ces notions sont aujourd'hui
communément admises, notamment pour expliquer la présence de séquences particulières dans
le génome humain; mais, au début de ses recherches sur la transcriptase inverse, Beljanski fut
férocement réduit au silence.

Avec l'ARN tumorigène, libéré par les bactéries oncogènes, à l'origine des tumeurs végétales
mais présents également dans des bactéries non tumorigènes, commence une longue série de
travaux en active collaboration avec les Drs L. Le Goff et Aaron da Cunha. Allant de l'origine
des cancers des plantes à la régulation de l' expression des gènes, ils ont eu pour conséquence
directe d'ouvrir l'immense chapitre des recherches sur les ARN de petite taille et les ARN-
fragments: tout un univers alors peu connu, aux possibilités inattendues, dans lequel la
communauté scientifique a commencé beaucoup plus tardivement à faire quelques sorties de
reconnaissance. Longtemps auparavant, Beljanski avait saisi la diversité de ces ARN, leur
importance pour la régulation de la vie de la cellule, pour la transmission d'informations
essentielles, pour l ' évolution. Il avait pu également mettre en lumière l' influence déterminante
de leur richesse en bases puriques sur l' activité de ces ARN; cette observation, au-delà de ses
applications pratiques, a d'intéressants prolongements théoriques.

Parmi les ARN courts, les amorceurs, qui déclenchent la réplication de l'ADN et sont doués
d'une spécificité assez étroite, vont permettre à Beljanski, en collaboration avec M. Plawecki,
après qu 'ils aient été les premiers à les isoler, d' en faire la synthèse par voie biochimique, de
mieux comprendre la phase initiale de la multiplication cellulaire, puis d'agir sur elle: ainsi se
réalisera une partie d'un vieux rêve des biologistes, qui ambitionnent de la contrôler
entièrement. Ensuite, la mise au point d'une méthode inédite pour la fabrication des amorceurs
va conduire M. Beljanski à préparer de nombreux ARN-fragments, découpés dans de longues
molécules d'ARN ribosomiques, abondants dans la cellule, à l' aide d'une enzyme facile à
obtenir, essentielle à l'organisme des mammifères. Au-delà de l'étude de ces ARN-fragments
aux vastes possibilités, ces travaux lui feront comprendre avec quelle facilité la cellule peut
utiliser ses ribonucléases pour découper, dans la grande variété d'ARN qu'elle contient, des
amorceurs utiles ou nuisibles: certains peuvent en effet, par exemple, favoriser le
développement du processus de la cancérisation, d'autres peuvent l'enrayer, d'autres encore
peuvent stimuler la synthèse d'ADN de tissus sains alors que celle de l'ADN des mêmes
cellules mais cancéreuses ne sera pas stimulé. La notion de sélectivité étroite est née de ces
expériences.

Enfin, alors que se terminent les années 1970, Beljanski, après avoir inventé l'Oncotest, fondé
sur le s différence s de comportement entre ADN cancéreux et ADN normal, fait la synthè se de
la grande variété de données apportées par toutes ses expériences: il en voit se dégager une
explication entièrement nouvelle de la cancérisation. A la question: " Pourquoi, dans
l'Oncotest, certaines molécules reconnaissent-elles les ADN cancéreux, ou, si l'on veut, sont-
elles spécifiquement attirées par eux ? ", il peut répondre: parce que la structure secondaire de
ces dernières, déterminée par les liaisons des brins de la chaîne entre eux, est. différente de celle
des ADN normaux; beaucoup des liaisons hydrogènes y sont rompues; 1'ADN cancéreux est
déstabilisé. I1 peut alors accueillir de nombreuses molétules étrangères, d'origine extérieure ou
produites par l'organisme, qui, en accentuant sa déstabilisation, ont un effet cancérogène. Les
agents déstabilisants, lorsqu'ils parviennent à déborder les résistances naturelles d'une cellule
normale, la transforment peu à peu en cellule cancéreuse en ouvrant exagérément les châînes
de son ADN. A ce moment, l'écartement intempestif des brins rend accessibles des sites
d'initiation normalement inactifs: d'où une réplication accrue et une activation anormale de
certains gènes. En même temps, le relâchement local de la châîne s'accompagne, de part et
d' autre, d' un resserrement qui peut rendre muets des gènes indispensables à la vie normale de
la cellule atteinte. En outre, les molécules biologiques qui se comportent comme des
anticancéreux spécifiques ont des charges électriques leur permettant de se comporter
différentiellement vis-à-vis des cellules saines ou cancéreuses, les membranes de ces dernières
ayant des charges différentes.

Le processus cancéreux s' auto-entretient de bien des manières à travers des synthèses
cellulaires anormales: les marqueurs dont l'apparition signe la maladie tumorale accroissent la
déstabilisation de 1'ADN; les nucléases de nature ou simplement d'abondance anormales
fabriquent les amorceurs spécifiquement destinés aux sites d'initiation des ADN cancéreux. Ils
diffèrent en effet des amorceurs des ADN normaux; c'est pourquoi ceux-ci restent sans effet
sur les ADN cancéreux.

Dans la cellule cancéreuse, multiplication anarchique et synthèse de produits anormaux ont une
origine identique: la déstabilisation de l'ADN. Point n'est donc besoin d'avoir recours à
d'hypothétiques mutations auxquelles les explications classiques du cancer étaient attachées,
mais qui n'avaient pu être systématiquement démontrées.

Actuellement, une partie de la communauté scientifique a renoncé à la théorie des mutations
pour celle des oncogènes. Ces gènes, présents aussi bien dans les cellules normales que dans
les cellules cancéreuses, ne sont exagérément activés que dans ces dernières.

Interprétée selon les conceptions de Beljanski, l'énigme des oncogènes peut s'expliquer. En
effet, comme dans le cas du gène his des bactéries du test d'Ames, il doit exister, au niveau des
oncogènes, des sites où les liaisons hydrogènes, particulièrement fragiles, sont les cibles
privilégiées des agents déstabilisants.

La notion de déstabilisation de 1'ADN, en expliquant la cancérisation, indiquait le moyen de la
combattre: la fermeture des châînes déstabilisées est réalisable à l'aide de molécules d'origine
végétale, mais cette fermeture n'est pas physiologique et la cellule meurt.

Beljanski a montré également que la déstabilisation de 1'ADN, ses mécanismes et ses
conséquences sont communs aux animaux et aux plantes, et même aux bactéries, si l'on
excepte, pour celles-ci, la cancérisation proprement dite.

Ces notions, entièrement nouvelles, fondées sur des faits expérimentaux ont permis de mettre
au point un concept thérapeutique aussi performant que novateur. Ce concept exploite d'une
part la déstabilisation obtenue par le s rayons ou la chimiothérapie de s ADN trè s réceptifs que
sont les ADN déjà pré-destabilisés des cellules cancéreuses ou en voie de le devenir,
déstabilisation qui favorise d'autant la pénétration dans les brins de 1'ADN des anticancéreux
spécifiques. La synergie d' action qui en découle a été présentée dans les pages relatives à la
cancérologie de ce volume , tant sur les ADN, que sur le. s cellule s en culture , les plantes , le. s
animaux porteurs de cancers expérimentaux et enfin les humains. Cette synergie permet
d'obtenir des résultats qu'aucune autre méthode, prise séparément ne permet d'obtenir.

L'une des substance étudiée s'est en outre avérée posséder un important potentiel antiviral, qui
a pu être mis en évidence sur les plantes, dans des expériences in vitro réalisées par différents
experts à la demande du chercheur, sur les chats atteints du FEV (sida du chat) et sur des
humains atteints de la maladie du sida.

La lecture attentive de cette monographie aura vite fait comprendre au lecteur le pourquoi de
la synergie en cancérologie, entre les traitements conventionnels (chimiothérapie et
radiothérapie) et les anticancéreux spécifiques. Rappelons simplement que ces voies
thérapeutiques qui ont des modes d'action différents peuvent cependant converger pour
apporter au malade à la fois plus de confort (minoration des effets secondaires des traitements
classiques) et plus d'effficacité car plus de fixation des alcaloides anticancéreux sur les sites des
ADN des cellules cancéreuses, sites rendus plus accessibles par la chimiothérapie ou la
radiothérapie. Efficacité et moindres effets nocifs sont le bilan de cette synergie bien conçue et
tout à fait opérationnelle. Les cellules normales, et en particulier les cellules hématopoiétiques
ne sont pas ou moins attaquées par les traitements classiques.

Cette synergie n'est pas possible en matière de lutte cotre les virus: il n'y a pas de synergie
d' action entre 1'AZT ou le DDI et la flavopereirine. Peut-être y en aurait-il avec les
antiprotéases, mais les circonstances contraires, voulues, n'ont pas permis d'aborder cette
étude. Dommage pour les malades.

Avant de terminer cette conclusion, il convient de saluer tout particulièrement la très belle
réalisation de Mirko Beljanski concernant la " synthèse de novo " d'un ADN, en l' absence
d'ADN (ou d'ARN) matrice.

Ce travail répond à plusieurs interrogations fondamentales et surtout ouvre un nouveau champs
d'étude, très vaste et passionnant, aux jeunes chercheurs curieux d'évolution ou de mieux
cerner les voies possibles que la nature a empruntée.

Malheureusement de nombreuses expériences n'ont pu être menées à terme, comme le
souhaitait le chercheur, par des obstacles semés volontairement sur son chemin afin d'entraver
ses recherches, obstacles à la mesure de ses capacités de découverte...

Enfin, si le chercheur a apporté à la communauté et aux malades une contribution importante,
ceux-ci ont aussi apporté au chercheur quelques années de répit pour travailler au Cerbiol.
Qu'ils trouvent ici l' expression de sa gratitude.