LES ANTIVIRAUX
Les maladies à virus sont la grande hantise des années 70. La médecine est
pratiquement
démunie contre elles. Les rares molécules capables de tuer certains virus sont très
toxiques et
si l'interféron, encore fort diffficile et cher à produire, peut empêcher un virus
d'envahir les
cellules saines, il ne peut pas guérir celles dans lesquelles le virus a déjà
pénétré.
L'équipe Beljanski possède des amorceurs spécifiques de la réplication d'ADN
extrait de virus.
Ne serait-il pas possible d'obtenir un ARN juste assez semblable à l'amorceur naturel
pour
entrer en compétition avec lui, mais suffisamment différent pour "fausser les
commandes" et
interdire la réplication de 1'ADN viral ?
En quelques mois de recherches, Beljanski et ses collaborateurs parviennent à produire
plusieurs ARN-fragments, très riches en bases puriques, capables d'arrêter in vivo, chez
l' animal, la multiplication de différents virus à ADN. La découverte est annoncée à
l'Académie
des Sciences, le 16 décembre 1974, par le Professeur Lépine.
L'équipe démontre l'efficacité d'action de ces ARN-fragments particuliers contre
deux virus à
ADN typiquesj fortement infectieux chez le lapin: celui de la vaccine et celui du fibrome
de
Shope, inducteur de tumeurs bénignes chez l' animal. L' inhibition virale est confirmée
par les
services compétents de Rhône-Poulenc.
Que l' animal reçoive l'ARN-fragment avant l'infection, au début ou au maximum de
celle-ci,
que le produit soit administré par voie intraveineuse, intramusculaire, intradermique ou
orale,
l'effet antiviral est tout aussi radical. En outre, les ARN-fragments antiviraux agissent
à très
faible dose. Ils se montrent entièrement dépourvus de toxicité.
Bien entendu, malgré la caution donnée à ces travaux par le Professeur Lépine, qui
précise qu'il
a suivi de très près l'expérimentation sur l' animal et qu' elle a été faite
"avec toute la rigueur
nécessaire", l'annonce de ces résultats est accueillie avec scepticisme, sinon avec
hostilité.
L'ARN-fragment ne provoque-t-il pas tout simplement la formation d'interféron ? Ce
dernier
est considéré, à l'époque, comme une panacée, du moins pour l'avenir, et le même
argument
va ressurgir chaque fois que Beljanski mettra au point un nouveau médicament.
Trois observations, principalement, permettent de réfuter l' objection soulevée. D '
une part, les
ARN-fragments antiviraux n'inhibent pas la réplication du virus dans des cellules en
culture:
ils n'agissent qu'in vivo, chez l'animal malade, ou, in vitro, sur 1'ADN viral isolé;
l'interféron,
en revanche, est plus actif sur les cellules en culture que chez l'animal. D'autre part,
contrairement à celle de l'interféron, l' action de l'ARN-fragment se manifeste même
après le
déclenchement du processus infectieux. Enfin, les ARN-fragments sont actifs par la voie
digestive alors que l 'interféron ne l' est pas.
Comment se fait-il que les ARN-fragments antiviraux résistent aux enzymes digestives ?
La
raison en est que les ARN riches en bases puriques résistent mieux que les autres à la
dégradation digestive; les ARN-fragments sont bien retrouvés dans les cellules. Les
doses orales
doivent cependant être deux à trois fois plus élevées que lorsque la voie parentérale
est utilisée.
Que de fois Beljanski n'entendra-t-il pas ces questions, que de fois ne devra-t-il pas
apporter les mêmes
réponses, à mesure qu'il découvrira de nouvelles molècules, bases de nouveaux
médicaments !
< IMG_P23_ab.JPG>
< IMG_P23_cd.JPG >
EXPLICATION DE LA PLANCHE
Virus du fibrome de Shope inoculé par voie intradermique au lapin: a. = tumeurs
obtenues au 7e jour d'infection,
côté gauche: b. = absence de tumeur 7 jours après inoculation d'un mélange du virus
avec le produit P à la
concentration finale de 0,1 mg par point d'inoculation, côté droit (même lapin).
Virus de la vaccine inoculé par voie intraveineuse: c. = absence de vésicule dans la
zone scarifiée* ayant reçu
locament au temps zéro d'infection une dose de 0,04 mg de produit P (deux lapins); d. =
nombreuses vésicules
dans la zone scarifiée de la peau d'un lapin (réf. 70).
* Cette scarification (ici réalisée "à blanc") est nécessaire pour que le
virus de la vaccine s'exprimé au niveau de la peau.
Produit P = antiviral - Effet des antiviraux sur deux virus à ADN:
fibrome de Shope (en haut), vaccine (en bas)
L'équipe manque de crédits. Elle travaille dans des conditions matérielles très
pénibles dont,
malgré ses protestations, elle ne parvient pas à obtenir 1' amélioration. Malgré tous
ces
obstacles, Beljanski vient de découvrir le premier antiviral efficace et non toxique. I1
pense,
bien naturellement, que sa découverte doit revenir à l'Institut Pasteur, où il
travaille depuis des
années et auquel, malgré ses déboires, il reste profondément attaché: mais la
Direction,
Jacques Monod en tête, déclare textuellement que le projet "n'entre pas dans les
programmes
de la recherche appliquée".
L'hostilité des tenants du dogme se fait de plus en plus virulente. Les idées
de Beljanski sont i
fausses ! L' activité d' un ADN est réglée exclusivement par les protéines qui
contrôlent le 3
fonctionnement des gènes.
Beljanski se débat pour avoir les moyens de développer son nouvel antiviral. I1 a
maintenant de
très bons résultats, in vivo, sur le virus de l'herpès. I1 est en rapport avec des
médecins. Son
ARN-fragment va guérir en quelques semaines un malade porteur d'un herpès oculaire
rebelle
et lui éviter une greffe de cornée; un herpès génital très étendu régresse, puis
disparaît au bout
d'un mois environ, sans récidiver... Résultats considérés alors comme impossibles à
obtenir.
Mais Beljanski se heurte à l'indifférence des virologues avec lesquels il prend contact:
ces X
spécialistes n'arrivent pas à croire à une telle efficacité, à une pareille
innocuité, et ne sont pas
préparés à comprendre la nature du médicament qui leur est proposé, si radicalement
différente
de tout ce qui s'est fait jusqu'alors.
Et pourtant... Peu après que Beljanski eut publié ses résultats et même envoyé aux
Etats-Unis
une documentation qui lui avait été réclamée, apparaît outre-Atlantique un
médicament riche
en guanine qui s'inspire singulièrement du sien, tout en étant moins efficace.
En 1979, cinq ans après les recherches de Beljanski, paraît aux Etats-Unis un travail
indiquant
que de petits ARN de 50 nucléotides, riches en purines, pourraient avoir une action
antivirale.
Voilà ce que l'avenir réservait à l'équipe Beljanski. Pour l'instant, après avoir
lutté de son mieux,
elle va bientôt devoir, faute des moyens et des conditions de travail nécessaires,
abandonner ses
recherches sur les antiviraux. Pourtant, les chercheurs savent que, s'ils avaient pu
poursuivre ces
travaux, ils auraient pu découvrir d'autres ARN-fragments, actifs, cette fois, non
seulement
contre de nombreux virus à ADN, mais aussi contre des virus à ARN, qui comprennent
certaines
espèces particulièrement redoutables, en particulier le virus de la rage et celui du
sida.
Pour expliquer comment l'ARN-fragment parvient à inhiber la multiplication d'un virus
à
ADN, Beljanski postule que l' antiviral, non transcrit en ADN en raison de sa très petite
taille,
vient se fixer sur le génome viral; et la seule explication satisfaisante est que
l'ARN-fragment
s'y fixe comme un amorceur, mais qu'il est orienté en sens inverse de la direction dans
laquelle
doit progresser la réplication de 1'ADN viral. C' est en quelque sorte un amorceur posé
à
l'envers, mais qui, même ainsi, possède suffisamment de régions complémentaires de
l'ADN
viral pour pouvoir s'y accrocher, perturbant fortement la réplication et l'expression des
gènes
du virus, de telle sorte que la multiplication de celui-ci, processus complexe, ne peut
plus avoir
lieu"'. En raison de leur spécificité, les ARN-fragments antiviraux se fixent
uniquement à
1'ADN viral, laissant intact 1'ADN de la cellule hôte.
Une dizaine d'années va s'écouler avant que des biologistes moléculaires, de plus en
plus
nombreux avec le temps, découvrent qu'il existe dans des matériaux très divers, depuis
les
virus jusqu'aux cellules animales, des ARN courts orientés en sens inverse de celui des
ARN
habituels; les Anglo-Saxons les nomment antisense RNAs (en français: ARN-antisens) et ils
représentent aujourd'hui un centre d'intérêt nouveau pour la recherche. Ils peuvent
former un
complexe inhibiteur soit avec un ARN messager, qui ne sera pas traduit en protéine, soit
avec
un ADN, qui ne se répliquera pas; et certains de ces ARN courts et à l'envers devraient
pouvoir,
selon les chercheurs qui viennent de découvrir leur existence, arrêter la multiplication
des virus
à ARN et aussi à ADN. . .
(1) Ainsi, des ARN-fragments qui se comportent en amorceurs des bactériophages
inhibent au contraire la
multiplication de certains virus à ADN parcequ'ils viennent s'y fixer en sens inverse.
RÉSUMÉ
Quelques mois seulement aprés la découverte des ARN amorceurs, Beljanski obtient
les premiers antiviraux effficaces et non toxiques.
Ce sont des ARN très courts, riches en bases puriques. L'expérimentation animale
prouve qu'ils sont actifs contre différents virus àADN, comme celui de l'herpès. Quel
que soit leur mode d'administration (intraveineux, intramusculaire, intradermique,
oral), que le sujet les reçoive avant, au début ou au maximum de la maladie leur effet
est tout aussi puissant, et ceci à très faible dose. Ils n'ont aucune toxicité.
Mais le principe de l'action des amorceurs est contraire à l'interprétation du
fonctionnement de l'ADN fournie par les théories en cours, dont Jacques Monod,
devenu directeur de l'Institut Pasteur, a été l'un des créateurs. Aussi la Direction de
cet établissement refuse-t-elle de s'intéresser au nouveau médicament que, de leur
côté, les spécialistes accueillent avec indifférence, incompréhension ou
incrédulité.
L'équipe doit travailler dans des conditions très précaires. Ses antiviraux seront
pourtant en partie copiés à l'étranger...
Pour interpréter l'effet de ses ARN-fragments antiviraux, Beljanski postule qu'ils se
comportent comme des amorceurs posés à l'envers; le concept des ARN antisens sera
"redécouvert" par la communauté scientifique une dizaine d'années plus tard.